"Tu es un peu la Rosa Parks de Tunisie pour moi" : Ouissem Belgacem rend hommage à sa mère courage avec le livre "Yamma" (2024)

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Mercredi 22 mai 2024 : l’ancien footballeur, Ouissem Belgacem. Il publie "Yamma" aux éditions Flammarion.

"Tu es un peu la Rosa Parks de Tunisie pour moi" : Ouissem Belgacem rend hommage à sa mère courage avec le livre "Yamma" (1)

Article rédigé par Elodie Suigo

Radio France

Publié Mis à jour

Temps de lecture : 10 min

"Tu es un peu la Rosa Parks de Tunisie pour moi" : Ouissem Belgacem rend hommage à sa mère courage avec le livre "Yamma" (2)

Ouissem Belgacem était footballeur professionnel. Il a joué en France, en Tunisie, aux États-Unis et en 2021, il a publié Adieu ma honte, une autobiographie dans laquelle il racontait son hom*osexualité cachée, empêchée et aujourd'hui libérée, totalement assumée. Depuis, il s'est engagé dans la lutte contre toute forme de discrimination. Il est devenu un porte-parole et surtout un bel exemple de comment vivre heureux en acceptant qui on est. Lui, qui a été élevé dans une famille musulmane, dans un quartier populaire tout en évoluant dans le milieu très testostéroné du football.

Trois ans plus tard, il publie Yamma aux éditions Flammarion ou l'hommage d'un fils à sa mère. C'est un portrait témoignage qui retrace le parcours de cette mère courage qui s'est battue pour être une femme libre.

franceinfo : Yamma, c'est la suite logique d'Adieu ma honte. Vous lui avez annoncé que vous étiez hom*osexuel. En appréhendant énormément. Dans un premier temps, elle vous a rejeté. On a l'impression que c'était le liant nécessaire pour montrer que oui, c'est possible. C'est un livre d'espoir ?

Ouissem Belgacem : Je ne sais pas si c'est la suite. Il y a plusieurs anecdotes que je raconte dans Yamma que j'avais déjà racontées dans mon précédent livre, mais qui sont racontées via son prisme. En fait, je vois Yamma plus comme un miroir que comme une suite. Et c'est vrai que ça me tenait vraiment à cœur de raconter la fin d'Adieu ma honte.

"La révélation de mon hom*osexualité génère une réaction assez brutale chez ma mère. Moi qui la connais, qui sait qu'elle est une femme extrêmement dévouée envers ses enfants, extrêmement gentille, je voulais expliquer pourquoi on en arrive à réagir de la sorte. Alors, j'ai retracé son parcours."

Ouissem Belgacem

à franceinfo

Le livre s'ouvre justement sur le fait qu'elle rencontre au marché de la ZUP d'Aix-en-Provence des amis qui sont aussi des femmes qui ont quitté leur pays pour aller chercher plus de liberté. L'une d'entre elles lui parle du mariage de son fils. Elle a un pincement au cœur. Il y a ce déchirement. On comprend qu'il y a eu un incident et après, vous poursuivez inévitablement avec la Tunisie. Vous racontez son parcours et comment elle a été élevée dans ce sentiment, et vous l'écrivez c'est très fort, qu'une femme a des airs de rejet. Il a fallu qu'elle affronte tout ça, à commencer par son frère aîné qui était extrêmement violent à son encontre et qui voulait la priver de liberté.

La trajectoire de vie de ma mère est assez incroyable parce que c'était une avant-gardiste. Je lui dis parfois : tu es un peu la Rosa Parks de Tunisie pour moi, dans le sens où oui, elle a grandi dans un village en Tunisie, mais elle a toujours voulu travailler. Pour elle, les études, c'était important. Ça a été la première femme institutrice de sa ville en Tunisie et elle n'a jamais voulu se soumettre à cette domination masculine qu'on peut voir en Tunisie, mais dans bien d'autres pays aussi. Et c'est pour ça que c'est une femme très courageuse. On a tous appelé nos parents : "maman" et "papa", mais avant d'être mère ou père, ils ont eu une vie, des espoirs, des victoires, des regrets, des défaites. Je voulais vraiment raconter ça

"J'ai voulu raconter la femme avant de raconter la mère."

Ouissem Belgacem

à franceinfo

Vous parlez de votre grand-père qu'elle admirait totalement et avec qui, elle était en osmose. Il était son défenseur quand son frère aîné la frappait. Il intervenait, il la protégeait. Et puis elle a voulu vivre un premier amour et il l'a totalement rejetée, ce qui fait qu'ils ne se verront plus jamais. On sent la douleur assassine à ce moment-là. Habib, c'est le nom de celui qui, pour vous, est votre père. Elle l'aimait d'un amour fou, une vraie histoire d'amour.

Mais c'est complètement romanesque. En tant que fils, je pensais tout connaître de ma mère, mais parce que c'est ma mère. Et je vois qu'avec la manière avec laquelle je me suis livré à du monde, elle a vu l'écho que ça pouvait avoir. J'ai réussi à lui montrer qu’elle, qui pensait que sa vie ne valait pas la peine d'être racontée, avait eu une trajectoire de vie complètement incroyable. Cette histoire d'amour est aussi belle que bouleversante avec Habib et c'est quelque chose qui est encore frais dans son cœur. Comme quoi, parfois, les plaies ne guérissent pas toutes, surtout celles du cœur.

Donc elle a perdu deux des trois hommes de sa vie, celui que vous considérez comme votre père et puis son père. Ça, c'est aussi un décès qui va être extrêmement lourd pour elle. Et puis elle va rencontrer un autre homme qui lui va être pour le coup violent, alcoolique, dépressif. Ça a marqué votre enfance ?

Ça a marqué mon enfance. C'est mon père, Hamza, qui n'a pas eu une vie simple et ma mère le raconte dans le récit, elle lui a dit : "Moi je veux bien partir avec toi en France, mais sache que je ne t'aimerai jamais parce que j'ai enterré mon cœur avec Habib".

Ce qui est très dur.

Ce qui est très dur. Mon père avait de l'espoir et lui a répondu : "Mais avec le temps, tu finiras par m'aimer". Et en fait, tu te retrouves à faire des enfants avec quelqu'un que tu n'aimes pas. La vie passe et donc la violence s'installe. Et c'est un exercice très difficile pour moi de parler de lui parce que c'est quelqu'un que forcément, j'ai envie d'aimer. C'est mon père et je sais que lui m'aimait énormément. Il n'a jamais été violent envers ses enfants. Toute sa colère était dirigée contre ma mère qui ne l'a jamais aimé et donc c'était un peu un exercice d'équilibriste. Sans justifier la violence parce qu'on l’a subie, nous, les enfants, on était en première ligne et ça a été extrêmement traumatisant, mais en expliquant aussi son parcours de vie. Il était maçon dans le sud de la France, il travaillait 12 h par jour dans des conditions inhumaines et quand tu rentres le soir et qu'il y a une femme qui ne t'aime pas qui t'attend, c'est difficile de trouver une forme d'épanouissem*nt avec ça.

Où en êtes-vous avec votre mère aujourd'hui ?

Mais si on a fait ce livre ensemble, c'est que ça va très bien. Ce livre nous a rapprochés, mais comme jamais. Plus que du temps où elle pensait que j'étais hétérosexuel et ça, c'est un énorme pari gagnant.

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